23 décembre 2005

Lettre à mes amis du RCD

Par le Docteur Béchir Larabi
Je vous écris parce que la parole sous- entend toujours un degré d’estime et aussi de reproche, une rencontre qui tend à faire la vérité en toute âme et conscience et j’en prends pour témoin nos martyrs et nos enfants. J’ai grandi au rythme des exigences morales d’un père doué d’un grand sens du devoir. Plus tard, je me surprenais à courir, avenue de la Liberté, derrière la Lincoln noire présidentielle, vociférant des louanges et essuyant mes larmes d’adolescent à qui on promettait des lendemains heureux. Mon ascension sociale n’aurait jamais été rendue possible sans le concours de quelques pédagogues généreux et aussi, et surtout, sans la bourse d’études salutaire et salvatrice que nous accordait notre jeune République. C’est dire la dette, incommensurable, contractée auprès de nos aînés qui ont libéré notre Patrie et c’est ainsi que j’ai choisi—comme beaucoup d’autres— la voie oblative des serviteurs passionnés, des défenseurs purs et durs de la Chose Publique. Mais le crépuscule des dieux n’épargnant personne, je me suis réveillé un matin de novembre 87 les mains tuméfiées à force de saluer la fin d’une longue et pénible éclipse. Je renaissais à nouveau. Aujourd’hui, la Tunisie a cinquante ans. Une cinquantaine d’années vécue dans un discours monolithique et unilatéraliste, accepté par une société civile qui vivait dans l’immédiateté, c’est-à-dire dans l’attente d’un bien être social. Cet “ordre socialement nécessaire”, pour reprendre une vieille __expression, a concrétisé des progrès majeurs de notre condition humaine et économique. Ces performances ont placé notre pays parmi l’élite des pays émergents, rendant ainsi légitime l’exigence d’une plus grande ère de liberté –de toutes les libertés fondamentales— et de démocratie pleine et entière—. Le bonheur ne doit plus rester uniquement dans les assiettes, il doit aussi et surtout habiter nos têtes. Mes amis, ne soyez pas rétifs ou exclusifs. On ne peut plus discourir sur le mode “vous avez juridiquement tort parce que vous êtes politiquement minoritaires” : être au pouvoir, du côté du manche, ne signifie pas avoir toujours raison, ou pour le dire autrement, la Démocratie— la vraie— n’est pas l’abus des positions majoritaires, et gagner les élections ne donne pas le droit de confisquer le pouvoir. Le Parti est une partie, seulement, de la société. Il faut en découdre avec “la morale de la responsabilité” qui voudrait que la fin justifie les moyens, car de nos jours, elle n’est plus réaliste et encore moins convaincante. Mieux que la diabolisation de la contestation, mieux que la relégation de tout désaccord à une action antinationale, restez à l’écoute. Le respect de l’Autre et de son droit à la controverse est primordial. “Tout est social”, disait Bourdieu, nous le savons tous. Et la science politique ne finit pas de montrer les dangers de tous les systèmes politiques clos, autistes. Le droit aux avis politiques non violents, aussi non conformes soient-ils à l’idéologie dominante, doit être reconnu et garanti. Tout le reste est mystification. Une société n’est, en réalité, que ce qui détermine les rapports et les relations d’hommes à hommes. Paul Valéry disait : “Il n’y a pas d’amour, il y a des preuves d’amour”. Cette vérité est imprescriptible. Plus que jamais, elle est applicable à la vie politique : il n’y a pas de liberté, il y a des preuves de liberté ; il n’y a pas de démocratie, il y a des preuves de démocratie. La Tunisie a grandi, ne nous arrêtons pas en si bon chemin car l’histoire ne garantit aucun franchissement irréversible des seuils du progrès. Seule une attitude volontariste et collective, bannissant la violence d’où qu’elle vienne et respectant le citoyen, est capable de garantir le bonheur durable à nos enfants. (Source : « Réalités » N° 1043 du 22 décembre 2005)